J'ai été très agréablement surpris par les discussions au sujet des voitures de luxe brûlées/taguées avec les élèves.
Je m'attendais à un réflexe assez naturel de défense de cette propriété ostentatoire/loisir... Et ben ça vient peut-être du public (les pieds dans la réalité, influences morales religieuses), mais les collégiens dans leur écrasante majorité n'ont perçu qu'une violence symbolique incomparable avec les multiples violences supportées par les citoyens de ce pays.
Très rapidement, le débat s'est déplacé vers la logique (le principe des assurances a été souligné par un fils de garagiste, on s'est très rapidement débarrassé de tout l'aspect "violence réelle faite aux riches") "pourquoi une voiture ?". Effectivement, le fait que ça soit, dès le plus jeune âge et de la façon la plus répandue l'objet par excellence de consommation ostentatoire (avec les fringues et les bijoux). Mais surtout, dans l'esprit de nombre de collégiens, la voiture c'est avant tout un objet de travail (ne pas être dépendant des transports en commun toujours en retard entre Creil et Paris), de décloisonnement (sortir du quartier), social (embraquer les potes en virée). En gros, un objet AVANT TOUT utilitaire. C'était ça qui les faisait marrer dans les photos en question : celui qui envisage sa caisse pour autre chose qu'une utilité (et on sent le manque chez beaucoup, le fait que de ne pas posséder de voiture est un frein à l'emploi des parents, un boulet) se retrouve logiquement emmerdé à l'heure où la misère et l'exclusion touchent de plus en plus de gens.
Une gamine a voulu insister sur la valeur donnée à l'argent dans notre pays. Elle était choquée par le manque de justification "morale" de l'accumulation symbolique de capital. "Aucune des religions monothéistes ne valorise l'argent, c'est même plutôt un repoussoir, c'est le partage et la charité qui sont des valeurs à suivre. Et l'idée politique qui s'est opposée aux religions, le communisme, ben elle non plus elle ne valorisait pas l'accumulation d'argent, bien au contraire." Ca a permis de faire des liens entre instruction civique, le programme d'histoire (ces réactions venaient d'élèves de 3eme) et même de géo.
Je me suis évidemment retrouvé à jouer l'avocat du diable, insistant sur le danger que pouvait représenter une société où les habitants n'ont plus le respect de l'argent. Je me suis fait démonter quelque chose de mignon...
"facile d'avoir le respect de l'argent quand on l'a", "vous croyez qu'il n'y a pas de choses plus urgentes actuellement que de permettre à quelqu'un de posséder 5 voitures toutes plus belles l'une que l'autre ?", "Si c'était la bagnole de booba, tout le monde aurait bien rigolé", "C'est quand même carrément moins grave que de brûler un bus qui appartient à tout le monde ?", "les gens font plus de conneries dans leur vie en courant après l'argent et en le protégeant qu'en s'occupant de leur famille, c'est pas une voiture familiale il ne pense qu'à sa gueule", "si ça se trouve, c'était la caisse d'un gros dealer qui exploitait des dizaines de guetteurs et de revendeurs", "l'argent c'est un moyen (nourrir et éduquer ses enfants, soigner ses proches) le problème c'est quand on en a trop ou pas assez, on devient fou". C'était très foufou par moment, avec de la mauvaise foi à revendre, des exemples personnels, des blagues...
Mais ce n'est pas si étonnant venant d'un bahut où la moitié des élèves sont boursiers, où environ 10% ne mange pas à sa faim (une cinquantaine d'élèves suivis de près à ce niveau là), où les classes accueil (et normales) se vident tout au long de l'année d'élèves qui sont raflés avec leurs familles par les services de l'immigration (qui cherchent maintenant, comble de l'ignominie, à pirater les données possédées par les bahuts pour trouver les adresses des élèves susceptibles d'être raccompagnées à la frontière), où les familles sans papier sont foutues à la rue par les foyers du 115,où on perd une pakistanaise par an car elle se marie au pays pendant l'été.
Je suis ressorti en repensant à cette phrase (Marx ?), "il est plus facile pour un dominé de comprendre la domination que pour un dominant". J'ai conclu en leur disant que quand ils auront 50ans, ils auront acquis la sagesse et comprendront la valeur des choses matérielles.