Interview de Louza dans L’Equipe de ce samedi, par régis Dupont.
« On ne peut pas déverser sa haine comme ça »
Le jeune milieu de Nantes, victime d’insultes racistes assorties de menaces de mort, dimanche dernier, revient sur cet épisode douloureux.Quelques minutes après la défaite contre Nice (1-2), Imran Louza (21 ans) découvre ce message émaillé de fautes d’orthographe qui lui a été adressé via un réseau social de la part d’un de ses suiveurs : « Tes bidon salle race va jouer en Afrique fils de pute on va te combrioler bougnoule de tes mort (…) Salle race on va tuer ton chien ta copine et tes parents ». Soutenu par son club et par la Ligue, le milieu de terrain du FC Nantes (19e de L1) a choisi de porter plainte contre cet individu. Par téléphone, mercredi, il a accepté de témoigner sur ce grave incident.
Comment allez-vous, au cœur de cette période compliquée pour vous ?- Ça va bien. Comme vous l’avez dit, c’est une période compliquée mais on s’accroche à tous points de vue.
Comment cela s’est-il passé, concrètement ?- Je sors à la fin du match et comme d’habitude je me trimbale sur Insta (Instagram), sur mes publications, et j’ai reçu un message assez dur. Que je n’ai pas totalement accepté. Dans ces phrases, il y a des propos racistes, des menaces de mort, ma famille est menacée. Je lis ce message, je capture directement, avant qu’il soit supprimé, et je le publie. Ensuite, je le supprime pour pas que ça ne fasse trop de bruit. Et malheureusement ben… enfin non, pas malheureusement. Je suis content quand-même que ça fasse un peu de bruit parce que ce n’est pas normal que nous, les footballeurs, recevions de tels messages.
Il y a quelques mois, auriez-vous eu le réflexe de le publier ?- Ça aurait été la même chose. Peu importe la situation du club ou ma situation personnelle, ça reste des menaces de mort et des propos racistes. Ça va au-delà du contexte, de nos mauvais résultats.
Aviez-vous déjà été victime d’insultes racistes ?- Non, c’est la première fois. C’est pour ça que ça m’a étonné.
Vous êtes issu d’un quartier difficile de Nantes, vous n’aviez pas souffert de propos racistes auparavant ?- Non, jamais, et je suis très content d’avoir grandi dans un quartier comme celui-là, c’est une culture comme une autre.
Chacun grandit différemment, personnellement je n’ai pas baigné dans ça. J’ai grandi dans un quartier. Mais un quartier, ça ne veut pas forcément dire la bagarre ou la violence. Il y a aussi la mixité, les bonnes choses, c’est ce que j’en ai retenu.
Et dimanche, avez-vous reçu d’autres messages de cet ordre ?- Non, c’est le seul.
Avez-vous entamé des démarches ?- Oui, j’ai le soutien du club, on va essayer de le faire de la bonne manière. Les critiques, il y en aura toujours, que tu sois bon ou mauvais, et c’est toujours bon à prendre. Mais des messages aussi haineux, ce n’est pas normal.
Quelles ont été les premières réactions dans votre entourage ?
Beaucoup de soutien, des bons et beaux messages. J’ai ressenti beaucoup de compassion envers moi et aussi la honte pour la personne qui a envoyé ce message.
Et votre famille ?- C’est surtout elle qui a été touchée. Quand j’ai montré ce message à ma mère, elle m’a dit : “Ouh là, ça va trop loin, il ne faut pas laisser passer ça !” Elle s’est inquiétée, forcément. Le fait que le club et les supporters soient derrière nous, ça l’a aidée. La Ligue s’est beaucoup arrêtée sur cette histoire, elle nous a aidés depuis dimanche soir, elle s’est beaucoup impliquée, a été très réactive.
Vous imaginiez-vous à l’abri de telles insultes ?- Non, on n’est pas à l’abri de quoi que ce soit. Mais, en fait, personne ne doit recevoir de messages comme ça. Peu importe qui. Un joueur de foot ou quelqu’un dans la rue, ce n’est pas acceptable.
Sentez-vous que les discours intolérants sont plus écoutés qu’avant ?- Je ne veux pas entrer dans un débat politique, je ne suis pas du tout dans ça. Simplement, on ne peut pas déverser sa haine comme ça. Chacun est libre de faire ce qu’il veut, de pratiquer la culture ou la religion qu’il veut, on n’a pas à juger une personne parce qu’elle est noire ou blanche.
Il y a quelques jours, dans ces colonnes, Nacer Bouhanni se plaignait du racisme dans le cyclisme. Il y a aussi eu Mouctar Diakhaby en Espagne dimanche. Le foot est-il un milieu raciste ?- Non, je ne vois pas forcément un contexte raciste, pas du tout. Il y a simplement des propos qui, parfois, dépassent la pensée, et ça ne doit pas arriver. Ce n’est pas normal. Il y a eu beaucoup trop de racisme ces derniers temps dans le football, et s’il faut lutter contre ça, je le ferai. Qu’on soit blanc, beur ou black, on n’a pas le droit de rabaisser quelqu’un à cause de sa couleur. Ça reste du football, ça reste du plaisir, ça reste une passion.
Cet épisode ne contribue-t-il pas, justement, à gâcher le bonheur de jouer, en plus des résultats déjà mauvais ?- Du racisme, il n’y en a pas que dans le football, il y en a partout, vous avez parlé du vélo. Ces propos, on ne peut pas les laisser passer. Mais il faut aussi avancer.
Ce message est-il “explicable” par la colère générée par la situation du club ?- Sûrement. Je ne suis pas dans la tête du gars qui a fait ça. Mais que le contexte soit bon ou pas bon, ça ne doit pas arriver. Ce n’est pas normal qu’une personne véhicule autant de haine.
Si vous étiez en face d’elle, qu’auriez-vous envie de lui dire ?- Rien du tout.
Que demandez-vous ? Que cette personne soit condamnée ?- Que son cas serve d’exemple pour d’autres personnes qui ont dit ça ou peuvent se permettre de penser de telles choses. Pas forcément pour condamner la personne ou quoi que ce soit, mais pour qu’elle comprenne que ce qu’elle a fait, c’est débile. Que ça n’a pas de sens, en fait.
Vous sentez-vous plus costaud après ça ?- J’ai senti beaucoup de solidarité, beaucoup de sympathie, j’ai reçu beaucoup de messages de soutien, je remercie tout le monde, on fait du sport pour ça. Dans les moments compliqués, on voit ceux qui nous soutiennent, ça nous donne de la force, oui.
Cette histoire, on aurait pu ne pas la connaître. Aujourd’hui, vous dites-vous : j’aurais fait une erreur si je n’avais pas diffusé ce message ?- Oui. J’ai relu les messages plusieurs fois. La première, je n’ai pas fait attention, je me suis dit : “OK, on vient de perdre, le mec est énervé”. Et puis je me suis dit : “Non, c’est beaucoup trop, cette personne, il faut qu’elle se dénonce, qu’elle se montre au public, qu’elle assume.” C’est dans ce sens que je l’ai partagé.
par NaonedRijsel » 09 Avr 2021 7:10 
