C’est ça. Beaucoup de préparation en amont, et une surprise totale quand Alaphilippe a attaqué. L’interview de Voeckler dans L’ÉQUIPE.
« Julian a bien fait de ne pas m’écouter »
Thomas Voeckler, hier soir à l’arrière du pullman, a décrypté les heures qui ont mené à la deuxième victoire de Julian Alaphilippe.•
Avoir un coup d’avance sur les rivaux Quand j’ai parlé avec les coureurs samedi soir lors du dernier meeting, j’ai compris que tout le monde adhérait à mon discours et à ce que je leur proposais. J’ai senti pourtant que certains me prenaient pour un fou. Ce que j’imaginais ne rentrait pas spécialement dans les cases. Je voulais qu’on bouge la course au bout de 60 kilomètres alors qu’il y avait 277 kilomètres à courir. J’avais prévu qu’on foute le bordel à ce moment-là en entrant sur le premier circuit à Louvain.
C’est Rémi Cavagna qui devait s’y coller mais il a eu un ennui technique juste avant. J’ai dû le calmer car c’est quelqu’un de stressé. L’idée générale c’était d’avoir un coup d’avance sur les rivaux mais je leur avais demandé aussi d’avoir la lucidité de lire la course et d’analyser la situation. C’est ce qu’ils ont fait en repoussant notre premier coup. »
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J’ai senti des craintes chez certains Chacun connaissait sa tâche avant le départ et, pour que les mecs l’acceptent, il faut aussi qu’il y ait une sincérité totale entre tout le monde. Les rôles étaient bien définis, très pointus. Ce meeting, samedi soir, a duré deux fois plus de temps que prévu, une heure au lieu de trente minutes car on était tous dans l’échange. J’ai senti des craintes chez certains, quelques appréhensions face à ce que je leur proposais sans doute parce qu’ils ne sont pas habitués à ça dans leurs équipes durant l’année. Je leur ai dit qu’on n’est pas dans un monde de Bisounours. Je veux que, de l’extérieur, on me prenne pour un fou mais que mes coureurs sachent où on va, que chacun sache ce qu’il a à faire à chaque moment de la course.
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Finalement, c’était une course facile à lire J’avais imaginé que ce serait une course compliquée à appréhender mais plus on se rapprochait de l’échéance, plus elle m’apparaissait limpide. Finalement c’était une course facile à lire, je l’ai compris vendredi lors de la reconnaissance. J’ai l’avantage de la faire avec eux à vélo, j’en bave mais ça me permet de tout anticiper, les virages, les plaques d’égout, les barrières, les changements de revêtement.
C’est un moment primordial dans l’approche d’un Mondial, bien plus qu’un briefing le samedi soir. Je veux sortir de ces habitudes en proposant un autre concept pour que tout le monde comprenne son rôle. Je suis un perfectionniste mais je ne leur demande pas la lune. J’ai essayé de détendre le plus possible l’atmosphère rien qu’en les laissant tranquilles durant la journée de samedi. C’était comme une journée off.
C’est vrai aussi que la victoire à Imola nous a bien aidés, elle a enlevé une grande part de pression. Mais, contrairement à l’an passé, je n’ai pas présenté la tactique sur un tableau noir, j’ai plus donné une ligne directrice générale. L’idée c’était d’avoir à chaque fois devant, un équipier accompagné d’un mec rapide, que ce soit Laporte, Turgis ou Démare. Mais sans jamais oublier que nos deux leaders étaient Julian et Florian (Sénéchal). Du coup, tout était clair pour tout le monde.
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Ce n’était pas prévu d’attaquer à 17 bornes À un moment, Julian a eu besoin de savoir ce que je pensais de la démarche à suivre, il voulait mon avis. J’ai vu que la moto caméra de la télé était braquée sur nous et je sais que c’est interdit de donner des consignes à son coureur par la fenêtre aussi longtemps. Mais je préférais prendre 500 euros d’amende, je m’en foutais. Julian m’a demandé comment on allait s’organiser pour le sprint final, si on donnait tout pour Sénéchal.
Je n’en revenais pas, c’est le champion du monde en titre, il est dans un groupe d’échappés avec 17 mecs et il me pose cette question ! On avait tout calé la veille et il a fallu que je reprenne mes explications. On a peut-être vu que j’étais très directif à ce moment-là avec lui. Je lui ai dit : “
Non, Sénéchal, il se débrouille tout seul pour le sprint, Madouas fait le job et toi tu cours à l’instinct.” Il a voulu savoir alors s’il devait attaquer et je lui ai demandé d’attendre. Il a bien fait de ne pas m’écouter, mais ce n’était pas prévu d’attaquer à 17 bornes de l’arrivée. Je n’y crois toujours pas, ce n’était pas vraiment jouable en solo si loin. Mais il l’a fait.
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J’ai demandé le silence total dans la voitureÀ quinze kilomètres de l’arrivée, je ne voulais plus rien entendre des infos. J’ai demandé le silence total, on a coupé radio-tour, j’ai éteint mon WhatsApp. Je voulais juste voir sur les images de la télé comment Julian passait les bosses. À son allure, s’il avait zigzagué un peu, on aurait pu avoir un doute mais là non, j’ai compris tout de suite qu’il ne coincerait pas. Je me moquais des écarts c’était son allure qui me rassurait. C’est à 2,5 kilomètres de l’arrivée que j’ai su que plus rien ne pouvait lui arriver. J’ai demandé encore le silence dans la voiture, mais plus cette fois par superstition.